Prenons le problème par l’autre bout. J’avais
proposé le remplacement de l’éducation ou de l’enseignement par l’entraînement.
Il ne s’agirait plus de forger le savoir de l’enfant ou de l’élève, mais de lui
donner les moyens de communiquer avec l’univers dans lequel il arrive.
Un univers conscient et sensible, prenant contact avec d’autres
univers
Le nouveau-né arrive dans un monde inconnu ou presque. Il est sonné par l’expérience de la naissance, nous ne savons pas grand-chose sur lui sauf qu’il est vivant et un peu conscient. Lui, ne sait rien de l’univers qui l’entoure, nous l’appellerons « l’univers extérieur », proche ou éloigné. Il ne sait rien du temps passé, de l’environnement matériel, proche ou éloigné. En gros, il est vivant et n’a pas de données sinon les sensations de toucher du ventre de sa maman. Comme nous ne sommes pas dans sa peau, nous ne savons pas grand-chose sur ce qu’il ressent, sent ou perçoit. Quoique, si ça se trouve, il connaît tout le fonctionnement de l’univers entier, potentiellement, mais comme nous ne le savons pas, nous l’excluons du raisonnement (à tort peut-être ; l’idée vient de me venir à l’esprit). Peut-être après tout connaît-il tout, sauf les spécificités de la famille ou de la société dans laquelle il vient d’arriver. Ce n’est qu’une idée, mais pourquoi pas.
Très vite, en l’observant, nous pouvons
savoir ou ressentir qu’un bébé n’est pas du tout égal à un autre bébé. De même
pour un enfant un peu plus âgé. En ce monde, l’égalité n’existe pas.
Admettons que le bébé soit
« intellectuellement » mal voyant. Le bébé est un univers à lui, un
univers plein de vie, mais il n’est pas orienté dans l’univers qui l’entoure (d’où
l’analogie avec « mal-voyant). Il acquiert peu à peu des données sur son
environnement immédiat, les gens qui l’entourent, ses pieds, ses mains, ses
jouets, d’autres bébés, etc. Il apprend à manœuvrer ses articulations et son
corps. Il apprend peu à peu qu’il y a des interdits et des choses autorisées
pour un bébé. Ainsi, il devient de plus en plus « voyant » ou
« perceptif » en acquérant des données fiables.
Lorsque nous observons plusieurs bébés,
nous constatons qu’ils sont essentiellement différents. Leur empathie est
différente, leur aptitude à manier leur corps, leur caractère, la manière dont
ils manipulent leurs parents (ils essaient), leurs émotions, tout cela est
différent d’un enfant à un autre. Leur rapidité de progrès également. On ne
peut même pas les catégoriser.
Donc, dire que tous les enfants
naissent égaux et qu’ils ont tous les mêmes aptitudes est faux. C’était l’un
des postulats fondateurs de l’instruction publique.
Disons que nous avons chez ce bébé un
univers potentiel. Nous ne savons pas de quoi il est fait. Réduire un bébé à un
ensemble d’organes physiques ? Qui peut l’affirmer. Restons donc dans l’observation
pure et le ressenti, le sentiment du vivant et tout l’amour que cela comporte.
Le rôle des adultes, parents,
entourage, « société », est d’entraîner les canaux de communication
de cet enfant jusqu’à ce qu’il soit autonome. On pourrait les nommer canaux
d’acquisition de données et de savoir-faire, ou de communication entre son
univers propre et l’univers extérieur.
C’est un postulat qui repose sur un
autre postulat : la confiance.
Cet entraînement comporte des interdits
sur des choses qu’il ne peut pas comprendre, d’où le rôle important des
adultes. Par exemple, on ne le laisse pas toucher la porte brulante du four. On
ne le laisse pas toucher à l’électricité ou traverser la route seul quand il
sait marcher. Cela fera partie de son apprentissage, mais on laisse ces canaux
fermés tant qu’il ne sait pas s’en servir. Peu à peu il va acquérir de l’indépendance
à mesure qu’il acquiert des données fiables, qu’il peut comprendre et du
jugement.
Autrement dit on entraîne ses canaux de
communication ou d’acquisition de données. Et on l’entraîne individuellement, à
son rythme, sur ceux-ci de telle façon qu’il devienne capable de s’en servir
pour construire ses connaissances et ses savoir-faire. Peu à peu, il va en
acquérir une maîtrise suffisante auquel moment il y aura un contact vivant, une
conscience autonome entre son univers et l’univers extérieur.
Explication des canaux et des univers
Nous avons bien sûr les différentes
caractéristiques des cinq sens humains. Ça, c’est simple. C’est de la
perception directe avec les différentes nuances des cinq sens. Ces cinq sens
permettent de devenir conscient de l’environnement. C’est comme établir un ou
des ponts ou des canaux de communication entre un univers (soi) et l’univers
autour de soi (extérieur). Si nous n’avions pas de canaux (les sens), nous
serions totalement hors contact avec l’univers extérieur. Ce serait terrible
parce que nous serions comme dans une prison sans fenêtres, ni lumière, ni
sensations, bon vous avez l’image.
L’être humain étant une espèce évoluée
grâce aux savoirs et savoir-faire acquis depuis la nuit des temps, il a acquis
différentes méthodes pour communiquer avec cet univers extérieur hyper
développé.
Par exemple, si vous voulez entrer dans
l’univers des mathématiques et vous en servir, vous devez en avoir les clefs.
Souvent, il s’agit d’apprendre à compter parfaitement et avec rapidité – les
quatre opérations par exemple et les bases de l’arithmétique. Ces bases forment
un pont entre votre univers mental et cet univers des mathématiques.
C’est ce que nous entendons par
« canal ». Vous établissez un canal entre vous et un certain univers
extérieur. Si ce canal n’est pas ouvert, rien ne se passe, les données de l’univers
des maths ne parviennent pas jusqu’à vous. Si un élève n’a pas suffisamment de
temps pour bien apprendre les bases, tout le reste est inutile car le canal n’est
pas ouvert. Il n’a pas accès à cet autre univers.
Bon, un autre exemple plus concret.
Avant d’apprendre à nager, le canal entre votre univers et l’univers de la
natation est fermé. Apprendre la théorie de la nage ne va pas ouvrir ce canal.
Apprendre progressivement les gestes de la nage et se familiariser avec le
milieu aquatique va très progressivement ouvrir ce canal entre soi et cet ensemble
de données qu’est le déplacement dans l’eau en flottant.
Une fois que vous savez nager, l’univers
de la natation est ouvert : vous savez ! Vous êtes autonome
du point de vue de la natation, aller dans le grand bain en piscine, ou en
rivière ou à la mer. Vous savez nager et vous pouvez commencer à vous servir du
sujet. Par la suite vous pourrez toujours vous perfectionner avec le plongeon
ou la compétition et vous aurez peut-être besoin d’un entraîneur sportif. Mais
si ce canal n’est pas ouvert, tout cet univers de la natation restera fermé
pour vous.
Autre exemple : le vélo est tout
un truc. Il s’agit de trouver l’équilibre alors qu’on n’a que deux roues et le
tout en pédalant pour faire avancer le vélo. Eh bien tant que vous n’avez pas
trouvé physiquement cet équilibre et tous les mouvements musculaires qui vont
avec, vous n’aurez pas accès à l’univers du déplacement en deux roues. Il y a
vous, votre univers, et puis il y a cet autre univers que vous observez ;
vous voyez autour de vous d’autres gens qui se déplacent en vélo ou autre
« deux roues ». Si vous voulez faire partie de cet univers du
déplacement en deux roues, il va falloir acquérir les clefs, les codes d’accès.
C’est cela un « canal » entre soi, l’univers personnel, et un autre
univers extérieur. Une fois que vous avez appris les principes, les bases (qui
consistent à acquérir des mouvements physiques et positions corporelles, à
ressentir physiquement pour rester en équilibre), l’univers extérieur qui
consiste à conduire un deux roues vous est ouvert. Tout le reste est du
perfectionnement. Mais vous avez déjà ouvert ce « canal ». Vous êtes
autonome dans ce domaine.
Chaque activité est un univers en
soi avec son langage, ses codes, ses techniques ou méthodes, son environnement
particulier, ses adeptes, ses maîtres.
Il existe aussi certains
« univers » qui n’ont pas d’accès. Il n’existe pas de canal parce que
ces sujets sont tellement mal foutus qu’ils sont incompréhensibles. Trop d’opinions,
de choses mal observées ou pas observées du tout, pas de logique, tout cela
empêche l’accès. La raison est qu’il ne s’agit pas d’un univers, mais une
décharge de données fausses parfois mêlées de données vraies. Il n’y a rien de
construit, pas de principes fondamentaux, rien de logique ou de sensé. On n’en rencontre
de temps en temps ; cela peut arriver alors il ne faut pas vous inquiétez
du fait que vous n’y comprenez rien… il n’y a rien à comprendre.
Pour illustrer encore notre le sujet
des « canaux » entre son propre univers et un univers extérieur,
prenons ce qu’on appelle les bonnes manières, le savoir-vivre, l’étiquette,
etc. C’est un vrai sujet, même s’il s’agit d’apparence, d’attitudes
artificielles, ne pas les connaître signifie ne pas avoir accès à certains
univers comme ceux des relations sociales. Il y a des choses que l’on peut
faire, certaines qu’il faut faire et d’autres qu’il ne faut pas faire. Et ces
sujets ont leurs fondements. Ne pas les connaître peut vous faire passer pour
un rustre, quelqu’un de malpoli, de grossier, à ne jamais inviter. Pourtant,
certains milieux sont bien agréables si l’on en connaît les codes.
Les mots et la grammaire, des canaux donnant accès à d’autres
canaux
Effectivement, le vocabulaire et la
grammaire, le langage, forment un canal vers l’univers des autres, passés,
présents et futurs. Ainsi, partageant une même langue et en en comprenant les
codes, les êtres humains peuvent échanger des idées. Ils peuvent recevoir les
messages d’une personne du passé, échanger des idées avec quelqu’un d’éloigné,
et écrire ou enregistrer des messages destinés à des gens situés dans le futur.
C’est un moyen très pratique pour communiquer.
Ce serait difficile, notamment pour des
idées complexes de se passer du langage. C’est un canal artificiel installé
comme un moyen pratique d’échange.
C’est donc un canal qui permet d’échanger
des messages simples ou complexes.
Mais il y a autre chose. Ce canal a
ceci de particulier en ce sens qu’il donne accès à d’autres univers comme les
maths, la physique, les sciences en général et pratiquement toute la
connaissance humaine. Autrement dit, il s’agit d’un canal vers d’autres canaux.
Il ne s’agit plus d’ouvrir une voie vers un autre univers, comme dans les
exemples ci-dessus. Il s’agit d’ouvrir la voie vers de multiples univers. Sans
le langage, aucun savoir complexe n’est accessible.
Il s’agit par conséquent d’un canal
clef de voute sans lequel la vie dans cette société compliquée serait
impossible. D’où son importance toute particulière. L’élève doit y passer du
temps, beaucoup de temps. Et comme chaque enfant est différent, il s’agit d’acquérir
les clefs, les principes de la grammaire, pas celle des littéraires, mais celle
qui permet d’échanger suffisamment précisément des messages et de recevoir d’autres
connaissances. Étudier des plus-que-parfaits du subjonctif peut paraître une
bonne chose pour les érudits, sauf que dans la vie, on ne s’en sert pas, ni
dans les sciences d’ailleurs. C’est juste très joli. Pareil pour le
vocabulaire. Ça se travaille et il faut y passer le temps nécessaire, pas le
temps décidé par une administration déconnectée.
Lorsqu’on entraîne ce canal chez un
enfant, il doit en acquérir une maîtrise suffisante, ce qui implique la
répétition d’actions et une certaine compréhension de ce canal. Quand il
commence à le maîtriser, il peut l’utiliser pour envoyer des données (idées) ou
en recevoir. Il peut l’utiliser pour acquérir d’autres savoir-faire. Il peut
conjuguer le langage avec des images ou des films. D’ailleurs, il serait bon de
continuer l’entraînement sur les langages particuliers des différents sujets
enseignés. Cet entraînement ne peut être qu’individuel puisque nous visons une
aptitude, pas un programme à exécuter dans un temps imparti. Nous n’enseignons
plus, nous entraînons.
Une fois qu’il aura bien progressé dans
l’utilisation des mots et de la grammaire, il pourra continuer à se
perfectionner. Mais ce canal est ouvert. Il sait à quoi il sert. Il sait
comment il peut s’en servir. La voie est ouverte vers davantage de
connaissances et de savoir-faire dans ce canal. C’est ce que nous voulons
atteindre, une aptitude de l’élève à se servir de ce canal de communication. À
ce moment-là, il est autonome et il pourra se perfectionner de lui-même.
Les mathématiques forment un ensemble
de canaux vers différents savoir-faire ou savoirs. Calculer la trajectoire d’une
fusée vers la Lune n’est pas la même chose que de calculer sa consommation d’essence
à l’aide d’une règle de trois, bien que tous deux nous aident à acquérir des
données. Dans les deux cas, il y a des bases à acquérir afin d’ouvrir et de
développer ce canal de communication entre notre élève et l’univers qui l’entoure.
L’informatique, apprendre à taper
rapidement sur un clavier, apprendre les bases de la gestion des données (les
fichiers, la sauvegarde et les manœuvres fondamentales) font partie des canaux
de communication entre un univers individuel et l’univers qui l’entoure. La
programmation est un autre canal, et ainsi de suite.
C’est comme de trouver les codes d’accès
à différentes salles, chacune d’elles contenant des savoirs. Si on ne possède
pas les codes, on n’a pas accès aux salles. Quand on a accès aux codes, on
devient autonome dans ce canal et les matières correspondantes. Au moins, si le
travail d’équipe est nécessaire, on a l’accès aux équipes.
Et comme il y a des degrés de
difficultés dans tout sujet, on ne cogne pas sur le pauvre élève qui ne sait
pas et qui ne parvient pas à comprendre. Ne pas savoir est une donnée
importante et tout à fait valable.
Développer les canaux
Une fois que l’on a compris qu’on
entraine l’élève à utiliser différents canaux pour acquérir des données et
communiquer avec l’univers extérieur, il suffit d’énumérer les différents
sujets qui composent la vie dans une « société » donnée, de trouver
les principes de fonctionnement de chaque sujet et de développer les exercices
qui permettront à l’élève de maîtriser les bases de chaque canal. À partir de
là, il suffit à l’élève d’acquérir davantage de savoir et de savoir-faire dans
le sujet pour en acquérir une expertise. Mais il est autonome dans ce sujet.
En ce qui concerne l’autorité du professeur
Le professeur n’a pas besoin d’autorité,
contrairement à ce qui a été cru au dix-neuvième siècle. Il n’a pas besoin d’autorité
puisque notre système permet un travail d’équipe des professeurs et que les
élèves qui sont là sont des élèves, pas des empêcheurs de tourner en rond et
des perturbateurs. Il y a une définition simple d’un élève : quelqu’un qui
est là pour s’entraîner ; il veut apprendre et il est capable d’autodiscipline.
Il est probable qu’il faille un peu de discipline de la part des professeurs
présents, car les enfants sont des enfants, indisciplinés par nature.
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